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  • On volait aussi les 4 L.


De temps à autre, il arrivait qu’un haut fonctionnaire de la direction, désirait montrer à la presse l’activité nocturne de la police, souvent à la suite d’une bavure sensationnelle relayée par les médias, ou tout simplement à l’occasion de sa prise de fonction à un poste important.

Cette nuit, une opération d’envergure a été décidée par la Direction générale. Chaque arrondissement fournit un effectif de participation et reçoit un secteur de prospection. Il s’agit en général de placer des barrages sur certains carrefours importants et d’y procéder à des contrôles, relever les infractions à la circulation. La plupart du temps, on n’y trouve que des contraventions. Mais, il se peut que des voleurs de voitures ou engins à deux roues croisent ces barrages. C’est alors la fuite et sa conséquence… la poursuite avec toutes ses incertitudes sur la fiabilité de ses résultats. Les motards sont prévus pour.

J’ai hérité de plusieurs points de contrôle sur les 7, 8 et 9e arrondissements, sous l’autorité d’un capitaine, excellent homme, celui-là, un peu pétochard, spécialité qui devait perturber son déroulement de carrière. J’y reviendrai. La nuit était très calme, la circulation pratiquement nulle et notre activité monotone semblait vouloir se limiter aux montées et descentes des cars, aux mises en place et aux changements de carrefours. en somme, on allait rentrer bredouilles.

C’est au placement du dernier barrage, place de la Madeleine que le sort nous attendait. Mon chef venait de donner l’ordre de lever le service. L’embarquement était presque achevé, sauf deux hommes qui s’apprêtaient à interpeller le conducteur d’une 4 L renault. Ce dernier avait dû voir le retrait en cours et espérer échapper au contrôle. Les deux gardiens s’approchant pour une ultime vérification, il démarre précipitamment, prend la rue Tronchet en direction du boulevard Haussmann, immédiatement poursuivi par les motards (encore une poursuite provoquée par une fuite) qui s’apprêtaient, eux-aussi, à rejoindre leur base.

Quelques secondes se passent et on entend le fracas d’une vitrine brisée. Pour leur échapper, il avait tourné brusquement à gauche dans le boulevard Haussmann, en direction de la place saint-Augustin, pris son virage trop large et terminé sa course dans le magasin de chaussures André, situé à l’angle de la rue du rocher (et non rue de la Pompe ! dixi Lydie) et du boulevard. il y avait des chaussures partout. Le voleur (qui n’était pas une pointure - re-dixi Lydie), sonné et titubant, (à côté de ses pompes - redixi Lydie), avait tenté de fuir à pied et s’était écroulé quelques mètres plus loin. il fut conduit, non au commissariat, mais à l’Hôtel Dieu où il existe une chambre-cellule destinée aux détenus blessés, la salle Cusco.

La direction des chaussures André envoya du personnel pour remettre de l’ordre dans le magasin et déblayer le trottoir des débris de verre. Là encore, en poursuivant, avions-nous commis une faute ?

Je reviens sur la situation administrative du capitaine Chateau qui a sa place dans la série des Gaietés de l’Administration.

Mon aîné d’une dizaine d’années, Chateau était lieutenant lorsqu’il avait eu une responsabilité à prendre seul, trop grande pour lui, il avait hésité et pris la mauvaise décision. Je l’ai déjà dit, cet homme agréable n’avait pas assez d’assurance. il avait toujours besoin de prendre conseil pour prendre une initiative parfois banale.

Dans l’administration, les épreuves des concours sont surveillées et lorsqu’un fraudeur est pris en flagrant délit, il risque non seulement d’être exclu de l’examen en cours mais en plus d’être interdit de concourir pendant plusieurs années. C’est d’autre part un délit pénal susceptible de poursuites judiciaires. Qui a participé à ces épreuves ne peut ignorer ces dispositions qui sont affichées dans les salles et lues par les surveillants avant la présentation du thème à développer. C’est clair et net et Chateau, issu de ces concours ne pouvait que le savoir. or, un jour qu’il était responsable d’un groupe de surveillants, il avait laissé libre un tricheur. Le délinquant s’était présenté à l’examen un avant-bras plâtré en raison d’une prétendue fracture. il s’agissait, en fait, d’une ruse camouflant un poste radio-récepteur d’informations émises de l’extérieur par un complice.

L’affaire était simple, l’intéressé devait être arrêté et conduit au commissariat. Par couardise, Chateau, constatant qu’il était le fils d’une personnalité influente, l’avait libéré croyant qu’en haut-lieu, on lui renverrait l’ascenseur. Ce fut tout le contraire.

Le haut fonctionnaire en question avait eu autrefois de graves démêlés avec le préfet Papon lequel, avisé, avait demandé communication du rapport de mise à disposition de la police judiciaire. il tenait là sa revanche. Perdue à cause de Chateau qui paya sa faiblesse par une opposition du préfet à son avancement. C’est seulement au départ de Papon qu’il devint capitaine.

Quand on sait que ce préfet, nommé à Paris en fin de quatrième république resta à son poste une bonne dizaine d’années, on peut imaginer le retard pris par Chateau.

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